Cette troisième soirée de l’Atelier des Savoirs était consacrée à la réflexion éthique dans le cadre du management d’une équipe de soignants. Catherine Duvert, cadre de santé au CHU de Bordeaux, nous a proposé de partager son expérience de professionnelle de santé. Beaucoup d’échanges, de questionnements et d’apports ont animés cette soirée.
Préliminaires à la réflexion
Le management est associé à plusieurs exercices : celui de l’autorité, de la gestion, de l’organisation. Dans un service de soins, le cadre de santé qui souhaite développer une dimension éthique dans son mode de management, décide d’accepter un questionnement permanent.
Un questionnement singulier lors de chaque situation vécue, sur la meilleure manière de guider une organisation plus humaine tant que sur la meilleure façon d’envisager des relations avec des soignants plus responsables. Le management s’apparente à une improvisation, il est le fruit d’une prise de risque, d’une rencontre entre un contexte de soins, des acteurs (soignants et les patients), une institution. Concrètement, pour le cadre, il s’agit d’éviter les réponses toutes faites issues des expériences passées de management. Il s’agit de susciter la réflexion permanente. Ainsi, en préservant sa capacité d’étonnement, le cadre de santé accueille la parole de chacun et libère les comportements des acteurs de soins. Il favorise la construction des projets de soins.
Mais, l’exercice du management s’inscrit dans une culture d’entreprise avec des priorités en constante évolution qui se cumulent.
- La valorisation des compétences à travers la vision utilitaire du travail avec le développement des savoirs et des pratiques à partir de protocoles communs, les soins s’évaluent en tâches à faire grâce des processus prédéfinis (uniformisation des pratiques, moins de place aux patients).
- La valorisation du collectif par la stimulation de l’esprit d’équipe pour une optimisation de la collaboration, les soins s’inscrivent dans la recherche de la qualité (procédures qualité).
- La valorisation de l’activité par la prise en compte du coût de la santé avec la rentabilisation des soins, la mutualisation des moyens, la recherche de la performance.
Le management se doit de répondre à ce qui est défini comme nécessaire en répondant à différentes normes : juridiques, économiques, recommandations de bonnes pratiques. Seulement entre les différentes normes quelle cohérence, laquelle prioriser, quelles limites ?
En tant que cadre de santé se pose l’équation entre l’accompagnement juste de l’équipe et le maintien de la qualité et de la productivité des soins.
Les décisions s’élaborent en conscience au quotidien.
Le travail avec l’équipe consiste plus à se mettre en accord sur l’attendu mutuel plus que sur ce qui doit être fait. Il s’appuie sur un questionnement fondamental sur le sens du soin dans le respect de la volonté des personnes soignées tout en respectant et valorisant chaque acteur de soins.
L’enjeu du cadre de santé c’est se mettre dans une posture de compréhension en osant prendre le risque de ne pas s’appuyer seulement sur les savoirs déjà acquis de l’équipe : l’expertise. C’est inviter l’équipe à oser faire avec ce que nous sommes d’abord. C’est un management relationnel orienté vers l’émergence des ressources, puis une expertise sans cesse renouvelée en fonction des acteurs présents et des situations vécues. Pour se faire, le cadre de santé accepte de se mettre en débat dans la réalité vécue grâce à une position médiane entre réflexion, valeurs professionnelles, valeurs personnelles. Grâce à une position analytique des situations et des comportements, favorisant la recherche de sens qui aide à la décision (reprendre les pratiques les comportements les choix pour redonner du sens).
Manager c’est désormais se mettre en cohérence les uns avec les autres sur le mieux faire ensemble pour le meilleur pour autrui.
C’est aussi savoir laisser faire, accepter l’écart entre le prévu et le réel, avec respect et empathie. C’est partager, parler les émotions des soignants dans un climat loyal inspirant la confiance de chacun. Penser les pratiques ensemble impose la sincérité (rester fidèle à soi) l’humilité et l’honnêteté intellectuelle (reconnaitre ses doutes, ses erreurs, ses peurs), avec courage et discernement. Garder une disposition d’esprit enclin à la compréhension, et à l’indulgence envers autrui, respecter les engagements pris (loyauté).
C’est l’exemplarité du cadre.
- Proposer plutôt que d’imposer
- Ecouter plutôt que de parler
- Manager plutôt que de faire plaisir
- Développer plutôt que de sanctionner
- Sourire plutôt que d’être abattue
- Assumer plutôt que de dissimuler (rire ou pleurer ensemble).
Les équipes respectées, valorisées, trouvent la juste proximité avec les patients et leurs proches. Manager devient SERVIR LE BIEN AGIR pour soi et autrui dans un contexte donné.
En instaurant une communication ouverte stimulant la réflexivité afin de construire une pensée collective.
Se mettre en débat à partir des vécus des représentations, des visions de chacun trouver un point de convergence, des conceptions de soins et définir une organisation partagée à partir de la singularité de la situation analysée.
Entretenir la confiance et la convivialité, écoute, empathie, capacité d’apprendre. Le cadre prend soin du climat de la communication de l’environnement du soin, afin de déployer les talents de chacun.
Afin de favoriser l’éthique dans les pratiques soignantes, le management devient humaniste, s’oriente vers la délibération continue afin de stimuler la réflexion et le respect de chacun. (Contractualisation équipe visée).
C’est l’application du message de Paul Ricœur « Une visée de la vie bonne, avec et pour les autres, dans les institutions justes ».
Catherine Duvert, cadre de santé
Echanges et réflexion avec les participants
L’objectif du soin demande un cheminement. Le souci de l’équipe est d’avoir une attitude la plus éthique envers la patient et les proches. Faire venir une tierce personne, psychologue par exemple, peut permettre de soutenir la réflexion et de valoriser aussi le temps pris pour accompagner les proches. Cela demande des compétences partagées, un travail en équipe.
Que faire avec un patient qui refuse de se lever, refuse de se doucher ?… Le refus des soins est une invitation à se questionner sur ce que veut vraiment un patient.
Ce qui met en tension peut être entre le prescrit par le médecin, le réel et l’attendu pour continuer de travailler sur le bien-être du patient.
Quel soutien au domicile quand une situation bloque quand il y a refus de soin ? Accompagner le refus et ne rien faire ? Le juridique rappelle que la volonté de la personne est première, on peut que conseiller sur la prévention des risques seulement.
L’accompagnement peut être vécu comme un échec : il s’agit d’accepter le refus de soin comme l’accompagnement du moment. C’est un respect de la volonté de la personne malade, même si on n’a pas tous les outils de communication avec elle pour avoir son avis. La stratégie de soin s’adapte face au refus.
Dans le questionnement éthique, peut se poser la question de la toilette. Par exemple, est-ce nécessairement une toilette complète à faire quand il y a un refus ? Peut-on faire la toilette d’une partie du corps un jour et le reste un autre jour ? Que renvoie le vécu de la toilette pour la personne ? Et le manque d’hygiène pour l’entourage ?
Il y a nécessité de rechercher l’adhésion de certains partenaire. À domicile pourtant, il n’y a pas de staff d’équipe. Quelle cohérence entre le projet de soin du moment et ce que vit le patient, son besoin et ses proches. L’épuisement, la dévalorisation sont parfois au rendez-vous… rester là, présent malgré tout.
Travailler en équipe offre des espaces d’échanges comme les staffs éthiques : exposer les situations de soin, avec différents acteurs tiers, raconter l’histoire du patient et celle des soignants dans l’accompagnement pour chercher où se situe la juste proximité avec les différents partenaires, partager des éclairages. C’est accepter de demander de l’aide, dire que l’on ne sait pas, qu’on n’en peut plus. Cela suppose que la parole soit libre pour les uns et les autres. Il y a une honnêteté dans la relation, une capacité de mise en danger, suis-je dans une juste place ? dans une posture réflexive ?
Le comité des usagers, l’entité juridique d’une institution permet aussi de poser des questions. C’est pouvoir convoquer des tiers. Il y aussi des staffs pluri-professionnels pour se mettre au clair sur la volonté du patient et les objectifs d’équipe. Cela ne marche pas toujours, l’alliance thérapeutique ne prend pas toujours.
Un soignant est éduqué à mesurer, quantifier. Mais c’est aussi garder sa capacité de curiosité, d’étonnement… et pas seulement avec son savoir, ses productions… être disponible à la situation : les échecs, les réussites, les questionnements, y aller sans stratégie.
Dans la relation à l’autre, pouvoir lâcher le « comme d’habitude », les préconceptions pour être « comme jamais ». La routine est fatigante, et la créativité est ressourçante. Elle nous relie plus à soi-même, donne de la conscience de soi.
Votre commentaire