Cette quatrième soirée de l’Atelier des Savoirs était consacrée aux bienfaits de la médiation animale. Delphine Descamps, sociologue qualifiée en éthologie, nous a permis de découvrir et de mieux comprendre les enjeux et les bienfaits de son activité auprès des enfants polyhandicapés et des personnes âgées. Anila Trinlé a animé cette soirée et apporté quelques éléments de réflexion issus de l’enseignement du Bouddha.
Préliminaire à la réflexion
Bruno est un pré-adolescent polyhandicapé en situation de handicap moteur avec troubles associés, pris en charge par une institution spécifique proposant un accompagnement médico-social (médical, paramédical, pédagogique et éducatif). Les missions de soins et d’éducation ont pour objectif de développer toutes les potentialités afin de permettre une qualité de vie fonctionnelle, la meilleure autonomie possible ainsi que l’intégration dans la vie sociale avec le soutien à la fois de la famille et de l’équipe pluridisciplinaire. Dans le cadre du Projet Personnalisé d’Accompagnement (PPA) prenant en compte les attentes des familles et dans la mesure du possible celles des enfants, l’accent est mis sur la valorisation de possibilité d’expression des émotions (communication verbale et non-verbale), de mise en contact avec l’environnement et le monde extérieur, ainsi que l’accessibilité à l’autonomie. C’est dans cette perspective que la proposition de mise en place d’Ateliers de Médiation Animale et Éveil Sensoriel (MAES) a été pensé.
Se déplaçant en fauteuil roulant, il est cependant le seul du groupe a pouvoir verbaliser ses ressentis au cours de l’Atelier. Aussi, il a tendance à monopoliser non seulement la parole, mais également l’attention à la fois de l’éducatrice présente, de l’intervenante mais également des animaux. De plus, il commente très facilement et sans filtre les scènes qu’il observe ; qu’il s’agisse des comportements et réactions de ses camarades ou bien ceux des animaux médiateurs présents.
Cinq objectifs de travail
Cette tendance à tout interpréter, analyser, commenter et verbaliser est un des objectifs de travail des Ateliers MAES. En effet, au fil des séances, nous tentons de faire en sorte qu’il apprécie l’instant partagé avec l’animal pour lui et non à travers autrui. La relation triangulaire doit être un support d’accompagnement et non une fin en soi (éthologie de la relation).
Motricité fine
Un objectif plus physique va nous faire travailler la motricité fine, le tonus ainsi que le schéma corporel à travers les caresses, la relation ludique ainsi que la proposition de nourriture à l’animal.
Éveil Sensoriel
Un autre objectif consiste à lui faire prendre conscience du moment présent en lui permettant, grâce à l’éveil sensoriel (douceur, chaleur, texture, couleurs et vibrations liées au ronronnement) notamment, d’être présent à l’action en cours ici et maintenant au lieu de se projeter à demain ou de repenser à hier. Idée développée notamment par le Docteur Chevassut, médecin créateur d’une consultation de la douleur en milieu hospitalier, pratiquant bouddhiste depuis trente ans et intervenant au sein de l’émission « Sagesses Bouddhistes ».
Éveil émotionnel
Un quatrième objectif lui apprend progressivement la notion de partage. En effet, s’agissant d’un Atelier de groupe, l’animal va et vient d’un enfant à l’autre soit au gré de ses envies, soit en fonction de l’intervenante qui tente de partager le temps imparti équitablement. Bruno a tendance à manifester beaucoup de désolation (peur de l’abandon) lorsque l’animal quitte ses genoux : si le départ s’effectue à l’initiative de l’animal, il manifeste de la tristesse par rapport à ce qu’il interprète comme étant le désir de l’animal de ne pas rester en contact avec lui, et si cela se fait sur la décision de l’intervenante, c’est alors une grande frustration qui se fait ressentir pouvant aller jusqu’à un repli sur soi ou bien de la colère ou de l’agacement.
Le cinquième objectif concerne la notion de séparation : apprendre à dire « au revoir », accepter le départ et la rupture pour mieux se retrouver lors de la prochaine rencontre. Bruno verbalise le désir de vouloir que l’animal reste avec lui et attend le dernier moment (que les animaux soient dans leur cage de transport et que tous les outils soient rangés) pour quitter la salle afin de profiter au maximum de la présence ne serait-ce que visuellement.
Échanges avec les participants
Quels sont les buts recherchés auprès des enfants handicapés-moteurs dans la médiation animale avec un poney ?
- la conscience du corps (équilibre, interaction avec le corps de l’animal)
- l’interaction non-verbale avec l’animal : cela peut être la réaction adaptative de l’animal à la personne (stimuler si trop apathique, apaiser si trop tonique,…), pour l’enfant l’approche progressive des signaux dans l’éveil sensoriel (la vue, puis le toucher,…)
- les capacités de l’enfant à prendre conscience de l’autre/le poney : le connaître, lui donner du bien-être, à manger,…
- l’intérêt de l’échange dans la triangulation (la personne, l’animal, le médiateur)
- se relier au bien-être du portage de la toute petite enfance
Comment choisir l’animal dans la pratique de médiation ?
- veiller au consentement de l’animal : un chien, attentif à son maître, peut subir pour « faire plaisir », un chat agit surtout pour lui-même
- prévoir et savoir interpréter la réaction de l’animal à l’action de l’enfant : le chien va dans un coin se coucher après avoir pris sur lui, laisser la porte du local ouverte en cas de peur ou de stress intense de la part de l’animal
- prendre en compte le vivant, tant la personne présente que l’animal,
Y a-t-il des formations à la médiation animale ?
- il en existe, sans doute trop, mais aucune officiellement reconnue comme référence. Au-delà de la formation, la difficulté est que la pratique en elle-même ne soit pas cadrée (à la différence de l’équithérapie, basée sur l’équitation, pratique déjà très cadrée)
Quelles sont vos réflexions sur le sens de la médiation animale ?
- l’observation éthologique est indispensable dans tous les cas pour prévoir et vérifier les réactions de l’animal, pour savoir le rassurer
- dans le cadre de la médiation avec un poney, l’intérêt du binôme médiateur/maître du poney laisse la place pour le médiateur à l’observation de ce qui se joue
Avec quels animaux ?
- quelles que soient les espèces, tous ne peuvent avoir l’attitude adéquate (exemple d’une lapine effrayée par les enfants, tandis qu’une autre lapine est confiante sous les caresses)
- l’animal a son propre métabolisme : alterner les animaux selon les sollicitations, les projets, les périodes de l’année
- attention aux abus : savoir poser des limites
- le cheval est le médiateur-type : l’équithérapie existe depuis plus longtemps, cette discipline a mis au point des techniques élaborées dans un cadre structuré
Quelle fréquence pour l’animal ?
- tout dépend de la durée de l’atelier, des conditions, soit avec un groupe, soit en individuel, en général, l’animal intervient trois fois par semaine au maximum.
Comment l’animal peut-il être « thérapeute » du patient ?
- faciliter des soins invasifs par l’attention portée par le patient sur l’animal
- aide à se représenter, à retrouver la parole
- aide à se remémorer (mémoires premières du toucher et de l’odorat)
- aide à la mise en relation des personnes entre elles
- aide à l’adaptation spontanée : ramène dans le présent et rassemble l’attention sur l’ici et maintenant
- aide à prendre conscience de ses peurs, à apprendre à les maîtriser avec le temps
Quels objectifs et quels impacts de la médiation animale dans les EHPAD avec la personne âgée ?
- la prise en charge est différente selon les pathologies comme la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson, mais c’est toujours un projet commun avec l’équipe soignante
- la médiation animal peut permettre de retrouver la cognition, la mémoire, la capacité sensorielle, la relation aux autres, du bien-être et du tonus
- maintenir ou retrouver l’image de son corps par l’éveil des sens
Quelle est la théorie fondatrice de la médiation animale ?
- le pédopsychiatre américain Boris Levinson a été le précurseur de la zoothérapie dans les années 50 sur une base empirique, depuis les recherches ont surtout lieu aux Etats Unis et au Canada
- de manière générale, en France, la non-théorisation provient davantage du conflit autour de la notion de thérapie que l’on tient à maintenir et contenir dans le corps médical alors que parallèlement, nous parlons bien d’équithérapie, d’art-thérapie, de musicothérapie, d’aromathérapie, de balnéothérapie, etc.
Dans quel état d’esprit êtes-vous comme professionnelle dans cette démarche de médiation animale ?
Cette démarche est encore méconnue, mal acceptée, mal rémunérée. Je travaille depuis 9 ans au CHU de Bordeaux qui m’en a fait la demande. Je partage mes pratiques et mes connaissances acquises pour les faire vivre ailleurs, en association en gériatrie. Je passe beaucoup de temps et d’énergie dans la préparation des ateliers, dans leur déroulement, où je suis présente en hyper-vigilance. J’ai de plus les comptes-rendus à faire et à remettre. Je vis mon métier avec passion, mais je sens aussi que je m’épuise. Je ne suis pas sûre de poursuivre ce rythme toute ma vie, car je dois être disponible intérieurement tant à l’animal qu’au patient, quels que soient la situation du moment et mon état psychique. C’est un projet à proposer aux professionnels de la santé : la « résilience par l’animal » comme une autre relation possible entre les patients, les soignants et les familles.
J’ai ressenti chez Delphine un fort investissement, une conviction et un engagement pour les personnes dont elle prend soin. Cela demande une disponibilité intérieure, une présence à soi, une réelle bienveillance envers les patients et un véritable respect pour ses « petits associés », les animaux qui l’accompagnent.
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