Concernant la fin de vie et la question de l’euthanasie, c’est bien souvent au nom de la dignité, que nombre de personnes réclament le droit à l’euthanasie. Cependant, il semble important de questionner notre représentation de la dignité. Les risques sous-jacents d’une telle légalisation, et qui ne sont pas toujours perçus d’ailleurs, sont en lien avec ce questionnement qui amènerait à définir qui a le droit de vivre ou non, ce qui serait, pour le moins, profondément déraisonnable.
Parce que, tout de même, il est important de se poser cette question : y aurait-il donc un moment nous ne serions plus dignes de vivre ? Seul notre rapport à la dignité de l’être, qui prend en compte la difficulté à assumer les souffrances inhérentes à la maladie et à la vieillesse, peut apporter un regard bienveillant et compatissant pour mieux soutenir et accompagner la mise en œuvre des soins nécessaires.
Suis-je, sommes-nous, en capacité de répondre aux besoins des personnes en grande fragilité face à leur fin de vie ?
Il semble important de questionner notre façon d’accompagner, notre capacité à être présent face à la souffrance, à la vulnérabilité des personnes en fin de vie. La question de l’éthique est une question très concrète. Que faisons-nous, que nous devrions-nous faire, pour améliorer les conditions de fin de vie des personnes en réanimation, en stade terminal d’une pathologie et les fins de vie des personnes âgées, qui, bien trop souvent encore, finissent leurs jours aux urgences, faute d’une prise en charge adaptée dans leur structure de vie.
Aborder ces questionnements nous ramène à notre finitude, à notre vulnérabilité. Ce face à face avec notre réalité est loin d’être confortable. Pourtant, c’est la condition première pour rencontrer l’autre. C’est à partir du moment où nous avons conscience de nos propres fragilités et que nous sommes à même de les accepter, que nous pouvons nous ouvrir à l’autre.
La dignité fondamentale
Explorons un peu cette question de dignité qui semble fondamentale dans le cadre de la réflexion sur l’éthique et la fin de vie. Je pense qu’à propos de la vision de l’individu, quelle que soit la culture, la religion, la spiritualité, chacun considère l’être vivant comme un être fondamentalement digne. En essence, et c’est une évidence, l’être humain est digne.
Si l’on se réfère à la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’article premier précise : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».
Le christianisme reconnait le concept de « personne », avec la dignité inaliénable qui s’y rattache. Les Saintes Ecritures rappellent que « parce qu’il a été créé à l’image de Dieu, l’individu humain a la dignité de personne : il n’est pas seulement quelque chose mais quelqu’un… » (Site du Vatican – Catéchisme de l’église catholique, n.357)
Le bouddhisme aborde la dignité du point de vue spirituel en parlant de dignité fondamentale, c’est-à-dire le potentiel de sagesse inhérent à chaque être. Notre fonctionnement basé sur des représentations, sur une identification émotionnelle à nos ressentis, nos concepts, nos peurs, etc., nous empêche d’exprimer pleinement ce potentiel.
Mais ne pas percevoir cette dignité fondamentale n’enlève rien à sa présence, ce qui nous fait dire que, jusqu’aux derniers instants de la vie, l’être vivant est un vivant à part entière (et même après, mais c’est une autre question…). Cette vision de l’humain fait de la voie bouddhiste un chemin de dévoilement.
Sans entrer dans le détail des différentes visions de l’individu selon les différentes cultures et traditions religieuses, s’il est un point commun, c’est la reconnaissance la dignité de la personne, de l’être humain, qui n’est jamais remise en cause. Il s’agit là d’une valeur intrinsèque qui commande le respect d’autrui.
Le sentiment de dignité
Si la dignité fondamentale de l’être humain ne peut être remise en cause, le sentiment de dignité peut sembler être perdu dans certaines circonstances difficiles. La perte du sentiment de dignité est en fait plus en lien avec ce qui n’est plus, ce que nous n’avons plus, et qui constituait ce que nous nommons être « notre dignité ».
L’autonomie, par exemple, est, dans notre société, associée à la maîtrise de soi et donc au pouvoir sur notre propre vie. La perte de l’autonomie peut donc être vécue comme une dépendance à l’autre. Ce qui, globalement, est refusé par la plupart d’entre nous.
Notre mode de connaissance, à la fois basé sur l’intelligence et le discernement, mais limité par notre vision émotionnelle des situations, nous amène inévitablement à vouloir préserver tout ce que nous identifions comme participant à notre bonheur. Et l’autonomie est ressentie comme un facteur important.
Pourtant, nous sommes prêts à aider, à soutenir, les personnes en difficulté, mais la plupart d’entre nous refuse ou accepte avec beaucoup de réticence d’être aidé, épaulé, lorsque le besoin s’en fait sentir à cause de l’âge, la dépendance ou la maladie. C’est souvent vécu comme humiliant, alors que lorsque nous sommes en situation d’aide, c’est avec respect de la dignité de la personne que nous intervenons. Paradoxal, non ?
Où en suis-je de mon rapport à ma vulnérabilité ? Suis-je prêt à accepter les contraintes liées à la maladie, à la fin de vie ?
La perte du sentiment de dignité nous amène à nous considérer plus comme objet que sujet. Pourtant, quel que soit notre état physique ou mental, nous restons et sommes fondamentalement dignes.
Pour synthétiser cette idée, nous confondons, dans notre souffrance, le fait d’être digne, ce qui est notre réalité intrinsèque, inaliénable, et le fait d’avoir perdu certains acquis qui, à nos yeux, constituent une atteinte à notre sentiment de dignité.
Le regard de l’autre conditionne notre dignité
La perte du sentiment de dignité est bien sûr une affaire personnelle. Cependant, le regard que porte l’entourage à notre situation, va venir accentuer, aggraver peut-être, ou diminuer ce sentiment de perte. Autrement dit, le regard que nous portons sur les personnes dépendantes, sur leur vulnérabilité, peut ou non, restaurer ce sentiment de dignité perdu.
C’est l’image qu’on se fait de la vieillesse et de la perte d’autonomie qui conditionne les choix et non la crainte réelle de la fin de vie elle-même. Il s’agit d’une vision déshumanisée de l’être humain qui considère que lorsque l’on devient dépendant physiquement ou psychiquement sa dignité est perdue. Or la dignité est le propre de l’homme et ne disparaît jamais. Par contre, elle doit être respectée et protégée par ceux qui entourent la personne dépendante ou en fin de vie. C’est ce regard extérieur qui va conditionner la qualité de cette dignité. Le meilleur moyen de mourir dans la dignité est donc de changer le regard de notre société sur toutes les dépendances, y compris celle de la fin de vie. (Dr Christophe Trivalle)
Le regard que nous portons sur les personnes en fin de vie a bien sûr un impact fort, mais le soulagement de la douleur, la prise en compte de la souffrance psychique, la qualité de l’accompagnement que nous leur proposons, constituent en soi la manifestation du respect que nous devons à chacun, quels que soient son apparence, ses troubles, sa difficulté à faire face à la situation.
Parfois certaines personnes face à certaines maladies incurables, (comme la maladie de Charcot), décident de ne pas aller au « bout », elles ne sont pas « en fin de vie », mais ne veulent pas voir, ressentir, éprouver, l’avancée de leur maladie ; elles vont en Belgique ou en Suisse.. Ce n’est pas qu’elles ne se sentent pas « dignes », mais elles ne se sentent pas la force d’aller jusqu’au bout. Elles veulent juste être » assistées », aidées dans leur décision, celle de ne plus vivre..
En ce qui me concerne je n’arrive pas à avoir une opinion claire face à une telle décision, mais « j’entends » leur demande et je l’accepte.
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